Le glamour

Mystérieux ou débonnaires, rêveurs ou gourmands, les hommes de Benoît Prévot ont en commun une qualité rare et démodée (aux yeux de certains) : de la classe. Leur stature, leurs épaules et leurs mâchoires carrées, jusqu’à leur costume ou leur coupe de cheveux, tout nous ramène à… Gary Cooper, par exemple. Ou au prototype de l’élégance masculine créé par J. C. Leyendecker pour Arrow dans les années 20-30.
Et pourtant, aucune trace d’élégance hautaine ou de rapport de classes rigide, pas d’aguicherie non plus. Pour la plupart, ces athlètes à la ligne rigoureuse possèdent une autre qualité démodée : la gentillesse. Il ne s’agit pas de mièvrerie, mais plutôt de ce côté “bon enfant”, gourmand sans arrière-pensée, qui empêcha toujours Zarah Leander de concurrencer sérieusement Marlène dans ses rôles de vamp inaccessible. Benoît Prévot vient de la bande dessinée et du film d’animation ; ses personnages ne connaissent guère la passion destructrice, ils gardent toujours de l’humour et un certain fond d’innocence.
Leur côté sombre, lorsqu’il existe, vient de l’extérieur. De ce monde de fiction cinématographique où ils évoluent et où tout peut arriver. Certes, la menace y est codifiée par le genre (film noir notamment). Mais ces contre-jours, ces ombres portées, tout cet attirail d’ombre et de lumière cher au cinéma allemand d’avant-guerre, exilé à Hollywood, instaurent un milieu d’emblée hostile. Cette immersion dans un drame latent leur donne une épaisseur à la fois plastique et dramatique. Glamoureux et pourtant ingénus, ses héros sont comme à la merci du premier scénariste qui les précipitera dans un speak easy enfumé, un palace laqué blanc ou au fond d’une impasse. Gare aux gangsters et aux blondes platinées, à la mitraillette ou au couteau étincelant sous un réverbère : leur grâce de gravures de mode au grand cœur pourrait bien les précipiter dans le drame ! Avec happy ending, néanmoins, car la tragédie, c’est tout de même une autre histoire.

Michel Orsoni